L'exploitation sexuelle à l'ère du numérique
Avec l’évolution rapide des nouvelles technologies et du numérique, il est normal de se sentir dépassé. Il est difficile pour les parents et les proches de connaître les habitudes en ligne des jeunes et donc quels sont les risques auxquels ils s’exposent au quotidien. La multiplication des applications et des médias sociaux, les géants du web qui modifient leurs paramètres de sécurité à leur guise et les personnes malveillantes qui renouvellent sans cesse leurs façons de faire pour s’immiscer dans la vie des jeunes font partie des défis auxquels nous faisons face.
Le balado qui suit, présenté par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), permet de mieux comprendre le phénomène de l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet, ainsi que son ampleur au Québec.
Dans tous les cas, il est important de garder en tête qu’Internet n’a pas que des mauvais côtés. Il occupe une place importante dans la vie des jeunes et la meilleure solution pour en prévenir les risques n’est certainement pas d’en bannir l’utilisation. Internet est maintenant un outil indispensable pour les apprentissages en milieu scolaire, il permet aux jeunes d’exprimer leur créativité, il facilite les contacts avec les amis et la famille, et bien plus ! En tant que parents ou proches, vous pouvez tout de même contribuer à prévenir les situations à risque d’exploitation sexuelle dans le monde numérique. Voici quelques conseils à cet effet :
- Familiarisez-vous avec les applications, les réseaux sociaux et les sites web populaires chez les jeunes pour mieux comprendre les risques et les opportunités qu'ils offrent. Être bien informés, c'est la clé !
- Expliquez aux jeunes l’importance de créer des comptes privés et de bien configurer les paramètres de sécurité (qui peut voir le contenu de leur compte, commenter, leur écrire des messages en privé).
- Établissez ensemble des règles claires concernant l’utilisation des téléphones intelligents, des applications et des réseaux sociaux.
- Faites savoir que si jamais une situation difficile se produisait, vous serez présents et offrirez votre aide sans jugement.
Ressources utiles
- Le site web ParentsCyberavertis.ca vous permet d’être informés et à jour quant aux nouveaux dangers d’Internet, et ce, en fonction des différents groupes d’âge. Vous y trouverez de l’information sur les risques des principales plateformes utilisées par les jeunes (jeux vidéo en ligne, réseaux sociaux, vidéos en direct, applications, etc.), des conseils et des sujets de discussion à aborder avec les jeunes.
- Le service de police de la ville de Gatineau a développé l'outil Vous NET pas seul. Vous pourrez y visionner quatre capsules informatives traitant de la sécurité Internet. Vous y trouverez aussi de l'information pertinente afin d'être mieux outillés pour déceler les pièges des personnes malveillantes et pouvoir accompagner vos enfants et vos adolescents dans une utilisation saine et sécuritaire du Web.
- Le CIUSSS de la Capitale-Nationale a développé le micro-site Contrer l’exploitation sexuelle, c’est l’affaire de tous, qui a pour objectif de sensibiliser les personnes à l’importance de la détection, du référencement et du signalement des situations d'exploitation sexuelle. Il y propose une fiche synthèse et une capsule vidéo vous aidant à identifier les risques potentiels de l’utilisation du Web et à reconnaître l’importance de la communication pour sensibiliser les jeunes (thème 8).
Malgré votre vigilance, des risques réels guettent les jeunes. Plus bas, nous démystifions quelques-uns des risques associés à l’utilisation du numérique.
Le sexting
Le sexting est un phénomène de plus en plus répandu chez les jeunes. Il est question de sexting lorsqu’une personne crée, transmet ou partage avec d’autres personnes des messages, photos ou vidéos à caractère sexuel. Cela se produit le plus souvent lors d’échanges avec des téléphones intelligents, via des applications ou sur les médias sociaux.

De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi les jeunes se livrent à cette pratique :
- Cela peut se produire dans le contexte d’une relation amoureuse ou lors de l’exploration de sa sexualité, alors que les jeunes désirent éprouver du plaisir, séduire leur partenaire et même parfois retarder les relations sexuelles s’ils ne se sentent pas prêts.
- Dans le contexte où les représentations idéalisées de soi et du corps sont normalisées, certains jeunes cherchent à se faire accepter ou à devenir populaires auprès de leurs pairs en partageant eux-mêmes ces images. Cette pratique peut contribuer à leur sentiment d’appartenance, à l’acceptation de leur corps, à la confiance en soi et à l’estime de soi. Certains jeunes peuvent également le faire dans l’unique but de rigoler ou pour relever un défi.
- Les jeunes peuvent avoir agi sous la pression ou la menace d’une autre personne, ou même avoir été photographiés ou filmés à leur insu avant que ces images soient diffusées.
- Les jeunes peuvent agir avec une intention malveillante, par exemple en cherchant à se venger d'un ancien partenaire sexuel (revenge porn).
Quels sont les risques ?
Il faut d'abord savoir qu'au Canada, la loi interdit à toute personne de créer, posséder ou partager des images à caractère sexuel d'une personne mineure. Il est donc tout simplement interdit pour une personne de moins de 18 ans de partager une photo intime d'elle-même. Aux yeux de la loi, cela est considéré comme de la pornographie juvénile, même si la personne faisant l’objet de ces images a donné son consentement ou qu’elle les a produites elle-même. Soulignons aussi que la notion de pornographie juvénile ne se limite pas aux photographies et aux vidéos. Elle inclut également les messages textes et les enregistrements audio.
Bien que ces contenus puissent être envoyés volontairement, il arrive qu’ils soient ensuite partagés, avec une intention malveillante ou non, à d’autres personnes. C’est ce qu’on appelle la distribution non consensuelle d’images intimes; une infraction criminelle punie par la loi. Partager une image intime sans le consentement de la personne concernée constitue une atteinte à la vie privée, peu importe l’intention derrière ce geste. S'ils s'adonnent au sexting, les jeunes doivent donc garder en tête qu'ils peuvent rapidement perdre le contrôle sur ces contenus.
Contrairement aux autres infractions sexuelles commises en ligne, la personne qui distribue de manière non consensuelle des images intimes est plus souvent connue de la victime. Il peut s’agir d’un partenaire amoureux, d’un ami ou d’une connaissance. Également, chez les jeunes, il est plus fréquent qu’il s’agisse d’un autre jeune, et non d’un adulte. D'où l'importance de sensibiliser les jeunes afin de diminuer le risque de victimisation, mais aussi d'éviter qu'ils fassent eux-mêmes des victimes.
Enfin, de plus en plus de travaux suggèrent que le risque d'être victime de violence sexuelle en ligne et d'être sollicité à des fins sexuelles est plus grand chez les jeunes s’adonnant au sexting. Cette réalité souligne l’importance de développer les connaissances des jeunes quant aux risques liés à l’utilisation des réseaux sociaux et des appareils mobiles, aux stratégies à mettre en place afin d’assurer une utilisation sécuritaire des réseaux sociaux, ainsi qu’aux façons de réagir si l’on est victime d’une quelconque forme de violence sexuelle en ligne, incluant l'exploitation sexuelle.
Comment (ré)agir ?
Si votre enfant ou un jeune est victime de distribution non consensuelle d'images intimes, il est important d’agir rapidement afin de limiter les conséquences qui peuvent être importantes pour le jeune, mais aussi pour son entourage. Il est essentiel de limiter le nombre de personnes ayant vu ces images, incluant vous-mêmes. Pour le meilleur intérêt du jeune, n'insistez pas pour voir ces images.
Voici quelques ressources utiles :
- Des photos ou vidéos à caractère sexuel ont été diffusées sur le web et vous souhaitez les faire retirer ? Rendez-vous au AidezMoiSVP.ca afin d’obtenir de l’information sur la procédure pour signaler ces contenus.
- Le Service de police de la ville de Québec a créé le site web Snap toi pas. Celui-ci offre des informations pertinentes sur le sexting. Il s'adresse aux jeunes, aux parents et au milieu scolaire.
- Consultez le Guide pour les familles – Faire face à l’autoexploitation juvénile, produit par le Centre canadien de protection de l’enfance, afin d’avoir des pistes de discussion et des conseils concrets sur la manière de soutenir les jeunes dont des images à caractère sexuel ont été partagées.
- Photos intimes est un jeu interactif destiné aux adolescents développé par l'équipe de Jeunesse J'écoute. Il s'agit d'un jeu de prise de décisions sur le sexting dans lequel le jeune contrôle le déroulement de l’histoire.
- En milieu scolaire, le projet SEXTO permet aux intervenants d’avoir accès à une trousse afin d’être mieux outillés pour agir lors de situations de sexting révélées dans l’établissement. Il vise à améliorer la coordination entre les différents acteurs impliqués (école, services policiers, etc.) et assurer une prise en charge rapide de ces situations. La trousse inclut une grille d’évaluation de l’incident, des sacs de confiscation du cellulaire et un document de références légales.
Le leurre par Internet
Certaines personnes utilisent les technologies afin d’entrer en contact avec des jeunes dans le but de faciliter une infraction sexuelle. Ces personnes sont généralement des adultes et peuvent, par exemple, se faire passer pour quelqu’un d’autre ou tenter de nouer une relation de confiance (ou même amoureuse) avec le jeune. Elles cherchent ensuite à le rencontrer en personne ou à obtenir des images intimes ou des faveurs sexuelles. Ces situations sont considérées comme du leurre par Internet.

Le risque d’être ainsi sollicité à des fins sexuelles en ligne est de plus en plus présent dès le début de l’adolescence, entre autres parce que les jeunes passent plus de temps devant les écrans en vieillissant. Ils développent aussi une curiosité naturelle envers la sexualité et peuvent adopter des comportements à risque. Le leurre est un phénomène beaucoup plus présent que l’on pourrait penser. Des chercheurs ont mené une étude auprès de centaines d’adolescents et ont observé que près du quart d’entre eux disent avoir déjà été sollicités à des fins sexuelles en ligne1. Heureusement, ce ne sont pas tous les jeunes qui cèdent à ces demandes. Toutefois, il arrive que certains y répondent favorablement et s’engagent dans des comportements sexualisés avec ces personnes (par exemple en acceptant de produire et d’envoyer des images intimes).
La sensibilisation et la prévention sont essentielles afin d’éviter la victimisation. Bien que le risque de leurre sera toujours présent, il est possible d’aider les jeunes à développer leurs connaissances, à déconstruire certains mythes qu’ils peuvent entretenir entourant ce phénomène, et ainsi diminuer le risque qu’ils adoptent des comportements sexualisés avec ces personnes après avoir été sollicités. Mais si la prévention auprès des jeunes demeure une cible prioritaire, il ne faut pas perdre de vue que la prévention du leurre par Internet est l’affaire de tous. Des actions ayant pour cible les parents, mais aussi les auteurs de cette infraction sont nécessaires pour s’assurer que les jeunes puissent bénéficier d’un environnement sécuritaire lorsqu’ils utilisent les technologies.
Comment (ré)agir ?
- Si votre enfant ou un jeune est victime de leurre par Internet, cessez toute communication avec cette personne, mais ne supprimez pas les messages ou les contenus partagés. Également, contactez le 911 ou signalez la situation à la centrale de Cyberaide.
- Le Centre canadien de protection de l’enfance a produit l’outil Comment parler de leurre informatique avec votre ado. Il offre de l’information sur les signaux d’alarme du leurre informatique et guide les parents dans leurs discussions avec leur enfant.
La sextorsion
Il arrive que des personnes incitent des jeunes à leur envoyer des photos ou des vidéos à caractère sexuel, ou encore à réaliser des actes sexuels devant la caméra. Ces personnes peuvent ensuite menacer les jeunes de diffuser ces images sur le web ou de les faire parvenir à leur entourage s’ils refusent de leur envoyer de l’argent, de leur transmettre de nouvelles images, etc. C’est ce que l’on nomme la sextorsion.

Ces personnes peuvent utiliser plusieurs stratégies pour créer un sentiment de peur chez les jeunes afin qu’ils cèdent aux menaces: se montrer agressives, menacer de s’en prendre à leurs amis, se créer plusieurs comptes sur les réseaux sociaux pour les intimider, etc. Il va sans dire que cette pratique est illégale et que les jeunes ne devraient pas céder aux menaces. La réalité n’est toutefois pas aussi simple ! Plusieurs jeunes se sentent coupables, ont honte de leurs comportements (p. ex. : d'avoir envoyé des images intimes) et craignent les conséquences de leurs actions. C’est pourquoi ils hésiteront à en parler à un adulte ou à chercher de l’aide. Ils peuvent aussi avoir le sentiment que personne ne peut les aider.
Comment (ré)agir ?
- Un jeune vit une situation de sextorsion ? Cessez rapidement tout contact avec le sextorqueur et rapportez la situation à la police ou à la centrale d’aide de Cyberaide.ca. Il est conseillé de conserver une copie des messages reçus et de toute information dont vous disposez sur cette personne, en plus de rapidement désactiver le ou les comptes qui ont été utilisés lors des communications avec elle.
- Si des photos ou des vidéos ont déjà été diffusées sur le web, rendez-vous au AidezMoiSVP.ca afin d’obtenir de l’information sur la procédure pour signaler ces contenus et demander leur retrait.
- Le Centre canadien de protection de l'enfance a produit l'outil Comment sensibiliser les jeunes à la sextorsion. Cet outil offre des conseils pratiques aux parents, notamment des pistes de discussion avec leur enfant concernant la sextorsion.
- Les3sexes a produit le rapport de recherche documentaire Comprendre la sextorsion pour mieux lutter. Les professionnel·le·s qui souhaitent en apprendre plus sur ce phénomène pourront y trouver de l'information sur le portrait des victimes, le profil des sextorqueurs, les conséquences chez les victimes, les recours pour les victimes et les pistes d'intervention.
L'hypertrucage
L'hypertrucage (deepfake) est une technique de manipulation d'images, de vidéos ou de sons qui utilise l'intelligence artificielle pour créer des contenus extrêmement réalistes, mais faux. L'hypertrucage est souvent utilisé pour créer des vidéos où une personne semble dire ou faire des choses qu'elle n'a jamais faites, ou encore pour remplacer le visage d'une personne par celui d'une autre dans une vidéo. Cette technique peut être utilisée pour créer de la fausse pornographie ou pour d'autres usages malveillants.

Généralement, les images réalisées par hypertrucage le sont sans le consentement de la personne représentée sur celles-ci. Elles sont ensuite diffusées en ligne, parfois à des fins de vengeance, d'humiliation ou de diffamation. Dans certains cas, ces images sont aussi utilisées comme une forme de chantage (sextorsion), où les auteurs menacent de publier ces images pour obtenir de l'argent ou d'autres faveurs. Une fois en ligne, il est souvent difficile de les faire retirer complètement, même si elles ont été créées illégalement. À noter qu'au Canada, la production d'images à caractère sexuel mettant en scène des personnes mineures est illégale, même si ces images ont été créées par l'intelligence artificielle.
Comment (ré)agir ?
Les jeunes victimes d'hypertrucage, au même titre que ceux dont les images intimes ont été partagées sans leur consentement, peuvent vivre une importante détresse et se sentir humiliés. Si votre enfant ou un proche en est victime, signalez ces images aux sites web et plateformes où elles ont été publiées (YouTube, Instagram, Facebook, etc.). La plupart des plateformes disposent de politiques strictes contre les contenus nuisibles ou non consensuels, et elles peuvent les supprimer. Le site web Aidez-moi SVP vous offrira de l'information pertinente à cet effet. Il est également conseillé de rapporter la situation à la police ou à la centrale de Cyberaide.
En tant que parents ou proches, il est aussi important de prendre conscience de l'impact du partage public d'images d'enfants (p. ex. sur vos réseaux sociaux). Si votre intention est tout sauf malveillante, le partage de ces images peut faire en sorte que des personnes malveillantes les utilisent. Les jeunes sont souvent la cible des campagnes de prévention de l'abus et de l’exploitation sexuelle en ligne. Mais les adultes peuvent eux aussi être ciblés afin de faciliter des infractions sexuelles impliquant des mineurs. Il est donc important de prévenir les risques associés au partage de tout type d'information et d’images d’enfants.
Références
- (1) Calvete, E., Orue, I., & Gámez-Guadi, M. (2022). A Preventive Intervention to Reduce Risk of Online Grooming Among Adolescents. Psychosocial Intervention, 31(3), 177-184.
- Bouchard, M.-C., Jalbert, G., Bourassa, D., Bernier, N., & Côté, K. (2023). Production, envoi et retransmission de sextos chez les adolescents : Prévalence et facteurs associés. Canadian Journal of Behavioural Science / Revue canadienne des sciences du comportement, 55(3), 228‑239.
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- Cyberaide. (2022). La sextorsion. Récupéré le 24 août 2022.
- Cyberaide. (2023). Leurre par Internet. Récupéré le 24 octobre 2023.
- Cyberaide. (2024). IA et hypertrucages. Repéré le 2 octobre 2024.
- Finkelhor, D., Turner, H., Colburn, D., Mitchell, K., & Mathews, B. (2023). Child sexual abuse images and youth produced images: The varieties of Image-based Sexual Exploitation and Abuse of Children. Child Abuse and Neglect, 143, 106269.
- Gouvernement du Canada (2023). Cyberintimidation et distribution non consensuelle d'images intimes. Récupéré le 2 octobre 2024.
- Ibrahim, D. (2022). Online child sexual exploitation and abuse in Canada: A statistical profile of police-reported incidents and court charges, 2014 to 2020. Statistique Canada, 36 pages.
- Information juridique communautaire (2021). Le sexting et la loi. Repéré le 2 octobre 2024.
- Isotalo, A., & Antfolk, J. (2024). Young People’s Reasons for and Emotional Reactions to Sexting in Intimate Relationships. The Journal of Sex Research, 1‑16.
- Sandoval et al. (2024). Threat of deepfakes to the criminal justice system: a systematic review. Crime Science, 13(41), 1-17.
- Weston, S. et Mythen, G. (2020). Working with and negotiating « risk »: examining the effects of awareness raising interventions designed to prevent child sexual exploitation. British Journal of Crimonology, 60, 323–342.