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Comment en vient-on à vivre une situation d’exploitation sexuelle ?

Les stratégies utilisées par les exploiteurs et les exploiteuses pour solliciter et développer un lien de confiance avec les jeunes sont nombreuses et peuvent être difficiles à détecter, puisqu’elles varient d’une situation à l’autre. Bien que l’on soit maintenant davantage en mesure de comprendre le processus qui mène vers l’exploitation sexuelle, chaque situation est unique. Il n’y a pas de réponse simple à la question "Comment en vient-on à vivre une situation d’exploitation sexuelle ?"

Si dans bien des cas les jeunes agissent sous l'influence et la manipulation d'une autre personne, il faut aussi garder en tête que certains jeunes s'engagent par eux-mêmes dans des activités liées à l'exploitation sexuelle (p. ex. : échange de services sexuels), sans en avoir été incités ou forcés pour une autre personne. Il y a effectivement de nombreuses raisons qui peuvent les pousser à agir ainsi. Par exemple :

  • La réponse à leurs besoins de base
  • Les gains financiers et matériels
  • Le besoin d'amour, de reconnaissance et d'appartenance
  • Le désir de vivre de nouvelles expériences

S'ils sont dans une situation à laquelle ils ont le sentiment d'avoir consenti, ces jeunes s'exposent tout de même à un risque important de vivre diverses formes de violence. Ils peuvent rapidement perdre le contrôle de la situation. Et une fois engagés dans ces activités, il peut être difficile d'en sortir.

Quels sont les facteurs de risque ?

Tout le monde peut un jour ou l’autre être sollicité ou se retrouver dans une situation à risque d’exploitation sexuelle. Il est aussi vrai que certains jeunes présentent une plus grande vulnérabilité que d’autres. Les facteurs de risque peuvent se situer à plusieurs niveaux : individuel, familial, relationnel, environnemental. Il faut toutefois garder en tête que la présence d’un unique facteur de risque conduit rarement à une situation d’exploitation sexuelle. C’est plutôt le cumul de ces facteurs qui augmente de manière significative le risque de vivre de l’exploitation sexuelle. 

Parmi les facteurs de risque, nous retrouvons notamment : 

  • La fugue
  • La maltraitance à l’enfance (négligence, abus physiques, sexuels ou psychologiques)
  • Les comportements sexuels à risque (sexting, sexualité précoce, etc.)
  • La consommation abusive d’alcool ou de drogues (du jeune ou de ses parents)
  • La délinquance ou la fréquentation de pairs avec des conduites délinquantes
  • La fréquentation de pairs qui vivent de l’exploitation sexuelle
  • L’instabilité résidentielle et l’itinérance
  • Les difficultés financières
  • Les problèmes de santé mentale (anxiété, dépression, idées suicidaires, etc.)
  • Le fait d’avoir un membre de la famille qui vit de l'exploitation sexuelle 

Bien que les études nous éclairent quant aux facteurs pouvant augmenter le risque d’exploitation sexuelle, il est parfois difficile de différencier ce qui représente un risque de ce qui résulte de l’exploitation sexuelle en elle-même (c'est-à-dire ses conséquences). Par exemple, un jeune en fugue peut se retrouver en situation de vulnérabilité et être plus à risque d’être sollicité à des fins d’exploitation sexuelle. D’un autre côté, les jeunes impliqués dans des activités d’exploitation sexuelle peuvent être davantage portés à fuguer de leur milieu de vie pour poursuivre ces activités. Il faut donc toujours être prudents dans notre interprétation de ces informations. 

À la recherche d'un outil clinique ?

Le CRUJeF a développé une carte conceptuelle afin de guider les professionnels en cours d’évaluation et d’intervention. Cette carte conceptuelle est une représentation graphique de l’ensemble des connaissances scientifiques sur l'exploitation sexuelle qui présente les principaux facteurs de risque et de protection qui lui sont associés, ainsi que les relations entre ces facteurs. Elle fait aussi état des manifestations observables, des conséquences associées et des principales pistes d’intervention recommandées. Cliquez ici pour en savoir plus sur les cartes conceptuelles ou faire une demande de formation.

Télécharger la carte conceptuelle sur l'exploitation sexuelle des mineurs

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Le conditionnement à des fins d’exploitation sexuelle

Plusieurs types de liens peuvent unir un jeune à son exploiteur ou son exploiteuse : un lien amoureux, familial ou même amical. Selon la nature de cette relation, différentes stratégies peuvent être utilisées par ces personnes pour mener à l'exploitation sexuelle du jeune. Pour nous aider à comprendre ce phénomène et mieux le prévenir, certains experts ont tenté de définir les étapes du processus de conditionnement à des fins d’exploitation sexuelle. Sans que cela puisse nécessairement s'appliquer à toutes les situations, ça nous permet tout de même d'y voir plus clair. Les principales étapes sont : 

Le choix de la victime
Si tous les jeunes demeurent à risque de sollicitation, le choix de la victime est souvent fait sur la base de certaines vulnérabilités sur les plans psychologique, émotionnel, familial ou environnemental. Les exploiteurs sont davantage portés à cibler des jeunes avec une faible estime de soi, qui sont en fugue, qui vivent des conflits ou de la violence à la maison, etc. Cela réfère aux facteurs de risque nommés plus haut.

L'accès
L'exploiteur initie un contact avec sa victime. Ce contact peut se faire via les réseaux sociaux, en ciblant des lieux fréquentés par les jeunes, via une autre personne (recruteur ou recruteuse) ou en approchant directement le jeune s’il fait partie de son réseau (p. ex. : s'il a des amis en commun). 

La confiance
L'exploiteur utilise des stratégies de manipulation émotionnelle, telles que des marques d’affection, des compliments et du romantisme. Il peut aussi s'agir d'offrir de l'argent, des drogues, des voyages, de l'hébergement, etc. afin de développer la confiance du jeune et faciliter sa coopération.

L'isolement
L'exploiteur utilise des stratégies pour isoler graduellement le jeune de son réseau social. Il peut, par exemple, dénigrer la famille et les amis de sa victime et l'inciter à mettre fin à certaines relations, l'inciter à abandonner certains de ses loisirs et activités sociales, la transporter hors de la ville pour l'éloigner physiquement de son milieu d'origine, etc.

La désensibilisation
L'exploiteur met en place des techniques pour désensibiliser le jeune à la sexualité, par exemple, en le questionnant de façon explicite sur sa sexualité, en banalisant ou valorisant la prostitution, en utilisant un langage à connotation sexuelle, en exigeant divers contacts sexuels avec le jeune ou même en l'agressant sexuellement.

L'exploitation sexuelle
Une fois sous son contrôle, la victime est contrainte ou forcée à se livrer à des actes sexuels, souvent contre rémunération. Cela peut inclure des relations sexuelles, la production de matériel pornographique, etc.

Le maintien
L'exploiteur utilise de stratégies visant à maintenir un contrôle sur sa victime et un lien de dépendance. Cela peut prendre la forme de manipulation psychologique (p. ex. : développer un sentiment de honte ou de culpabilité chez la victime), de menaces ou de violence. L'objectif est d'éviter que la victime quitte la situation d'exploitation sexuelle et d'exercer un plein contrôle sur celle-ci.

Entre amour et exploitation sexuelle

Une stratégie fréquemment utilisée par les personnes pour exploiter sexuellement les jeunes est la création d’une relation amoureuse (du moins en apparence) avec ceux-ci. Souvent idyllique au départ, cette relation se transformera progressivement en situation d’exploitation. La personne tirera profit des sentiments amoureux du jeune pour le convaincre de se livrer à des actes sexuels, généralement en échange d’une rétribution (argent, vêtements, bijoux, voyages, drogues, hébergement, etc.). Cette personne peut aussi utiliser la force et les menaces pour arriver à ses fins.

Les stratégies de manipulation et de contrôle utilisées par cette personne font en sorte que les interactions alternent, de manière imprévisible, entre des interactions positives (admiration, compliments, offre de cadeaux, marques d’affection, romantisme) et des interactions négatives (violence, menaces, humiliation, abus). En agissant de la sorte, les exploiteurs développent chez leur victime un attachement traumatique. Ils y arrivent en mettant à profit les vulnérabilités des jeunes et leurs besoins d’attachement, d’amour et d’affection.

Les jeunes qui développent un attachement traumatique ont tendance à développer un fort sentiment de loyauté envers leur exploiteur. Ils peuvent aussi développer une certaine dépendance envers les interactions positives et, d’un autre côté, se blâmer pour les interactions négatives. Ils peuvent en venir à penser qu’ils méritent ces abus et ces violences. 

La notion d'attachement traumatique explique en partie comment l’attachement que les jeunes ont envers leur exploiteur rend difficile la sortie de l’exploitation sexuelle. Cela explique aussi pourquoi les victimes tentent souvent de protéger cette personne (lui éviter des problèmes avec la justice, considérer les comportements de cette personne comme des gestes d’amour rationnel, refuser de témoigner contre elle, etc.). Les jeunes exploités sexuellement peuvent aussi perdre confiance envers les personnes en dehors de cette relation, notamment les professionnel·le·s qui souhaitent lui venir en aide. Même après avoir mis fin à la relation, ces jeunes peuvent demeurer convaincus de leur amour envers leur exploiteur.

Comment agir ?

Une fois pris dans l’engrenage de l’exploitation sexuelle, il peut être très difficile de s’en sortir. Le processus de sortie risque aussi de ne pas être linéaire. Il est possible, et même tout à fait normal, que la personne retourne dans une situation d’exploitation sexuelle alors qu’elle avait amorcé son processus de sortie. Bien que de l’extérieur il peut nous sembler irrationnel qu’une personne refuse de mettre fin à une relation d’exploitation et qu’elle continue de protéger son exploiteur, nous devons garder en tête que la relation qui l’unit à cette personne est très complexe et qu’elle est sous l’influence de la manipulation. Il est normal que les jeunes ressentent de l’attachement et même de l’amour envers cette personne. Plutôt que de minimiser ces sentiments, nous pouvons les accueillir sans jugement et sans blâme envers les jeunes. Nous pouvons aussi nous intéresser à leur vécu pour mieux le comprendre. 

En tant qu’adultes, nous avons aussi un rôle à jouer dans l’éducation des jeunes, entre autres, concernant le développement de relations amoureuses saines et positives. Nous pouvons ainsi les aider à mieux reconnaître les signes d’une relation malsaine et prévenir les situations à risque d'abus ou d’exploitation sexuelle. 

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe de nombreuses ressources pour soutenir les jeunes qui vivent de l’exploitation sexuelle et leurs proches ! Pour trouver une ressource d'aide près de chez vous, cliquez ici.


Références

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